samedi 16 juin 2018

Il pleut à contre verse
Je reprends le chemin en arrière.
Je rembobine.
Je reviens avant, juste avant,
des chaussures d'enfants à mes pieds.
Je suis une petite fille
taciturne.
Mes pieds sont au sec encore.
Bientôt dans un grand élan,
je sauterai dans la flaque
à pieds joints.

Il pleut. Je rembobine.
Je pourrai être une petite fille
les pieds au sec.
Je suis légère comme un papillon,
je vole.
Il pleut des épuisettes.
Je m'arrête. Net.
Je resterai en bas de la marelle.
Sur la case terre.
Je ne lancerai plus le caillou pour avancer.
1, 2, 3 soleil. Tu pourras crier.
Te retourner.
Rien ne bougera plus.
Il pleut des cailloux.

Je suis une petite fille
la bouche pleine de terre.
Ma mère sort un gant de toilette
pour me nettoyer le visage.
Je pourrai courir encore
le long de l'allée,
éviter les cailloux.
J'entends le train qui passe en haut du talus
Je vois le soleil se cacher derrière un instant.
Il pleut des rais de lumière.

Tout à l'heure, je tomberai de mon vélo.
Pas encore.
Il pleut.
Pas encore.

Il pleut, les souvenirs s'en mêlent,
des polaroids délavés.
Ma mère a une médaille de baptême
autour du cou,
les cheveux retenus en queue de cheval.
Elle sent l'eau de cologne.
Elle est là.
Elle parle.
Je vois des mots qui sortent de sa bouche.
Il pleut.
Il pleut des mères.

Il pleut
sur le ciel qui n'a rien demandé
sur l'étang qui se prend pour le ciel.
Les canards s'envolent.
Il pleut.
Il pleut mon enfance
sur le bois de Chaville.
Les feuilles seront bientôt d'automne et craquantes sous les pieds.
On démêlera le vrai du faux,
on retrouvera l'essence.
On ne sera pas surpris d'entendre
la voix de Mme Sayol,
la nourrice.
Il pleut,
il pleut des mots qui disent.
Il pleut la voix de ma mère
en-allée.
Il pleut mes oreilles
qui oublient, qui ont oublié.
Il pleut des visages
qu'on reconstitue doucement
du bout des doigts
en les frôlant à peine.
Il pleut le ciel
et ce qu'il y a dedans.

Il pleut des tambours et trompettes
le ciel à coeur
il pleut sur la plaine
le chant noir des corbeaux tente
de faire contrepoids.
Je m'arrête.
Je pose mes mains
sur le bord de la pierre.

Il pleut de l'encre.
Je suis une petite fille encore.
Et j'attends.