samedi 12 janvier 2019

L’effroyable douceur d’appartenir
au monde déjà. Dès le premier jour, avant le premier cri, la douceur puis l’effroi, la douceur de ce qui nous berçait, l’enveloppe et, soudain, l’arrachement qui nous somme de nous appartenir en propre.
L’air glacé qui vrille nos poumons.

Nous appartenons à des mains paternelles, aux fantômes maternels, aux statues que les fratries érigent. Nous dépassons de la boîte, nous tirons sur la laisse. Puis nous revenons aux temps chauds. Nous cherchons les rires, la connivence ogresque, nous sommes de cette connivence là, de cette famille, nous appartenons à la lignée, à la table, au banquet, nous pourrons écrire notre nom à la suite de nos pères sur les tombes.

Nous avons un nom. Nous lui appartenons, il nous fait, nous le brandissons, il nous dit aux mots des autres, nous le défaisons.

On retricote, on se défait de la maille, du rang. Mais on demeure sur les photographies, souriant, heureux de la chaleur humaine.

Par instants, nous faisons danser des lampions.

Nous appartenons à la terre, nous sommes des matins, de l’aube, Nous cherchons à l’étreindre. Nous ne sommes pas l’arbre, nous le sommes. Nous sommes les cieux immenses, le monde, nous tentons de l’être, nous respirons contre le monde, notre cœur à l’unisson de la pulsation des plaques. Parfois nous regardons les étoiles, nous sommes de cet univers immense, nous sommes si petits, nous n’y sommes pas, à peine, une fourmi.

Nous sommes si petits, si fragiles, nous restons. Nous cherchons la grotte, la terre où nous lover. A peine trouvons nous l’antre que le désir de connaître, de partir nous appelle. Nous appartenons aux routes désormais, à ce qui se déploie et à ce qui se cache.

Nous cherchons ce qui pourrait nous contenir encore, ne pas nous enfermer.

Nous aimons. Nous appartenons à l’incendie. Nous sommes de la maison qui brûle, nous défaisons. Nous sommes le jaune, nous sommes deux, nous sommes un, nous sommes l’univers enfin. Nous sommes seuls.

Notre épine dorsale est à vif. Elle ne sait plus même comment on respire, elle ne sait plus, elle meurt de l’appartenance, elle meurt de la présence–absence.
Nous coupons, nous défaisons. Nous savons qu’il faut y aller à la hache. Nous ne savons pas faire. Nous regardons nos mains qui ne savent pas tailler, nos peurs,
de ce qui se défait en l’autre,
en soi.

Nous avons perdu la partie, la source. Nous cherchons le ventre de nos mères. Nous avons pris la place d’un autre. Nous avons pris la place. Nous ferons tout au mieux. Nous pardonnerons tout. Nous ne ferons pas de bruit. Nous ne défierons pas les tempêtes, nous accepterons. Nous nous étonnerons que l’autre veuille bien que nous lui appartenions. Alors nous ne bougerons plus. Il ne faut rien déranger, il ne faut pas réveiller ce qui s’est ramassé en une petite pelote noire. A qui appartient elle ? Quel est ce séquestre ?

Nous recommencerons pourtant, nous plaquerons nos mains contre le visage d’un autre, nous boirons sa bouche, nous dirons je suis ta femme, nous le serons.
Saisis encore par cette effroyable douceur d’appartenir.

A partir de l'effroyable douceur d'appartenir (dernière phrase  de "Leurs enfants après eux" - Nicolas Mathieu) - Merci à Claude pour la suggestion.