samedi 6 avril 2019

Je parle une langue. Je parle à l'homme assis. J'attends qu'il comprenne. L'homme assis me regarde. Il ne comprend pas. Pas un traître mot. J'essaie encore. Je m'applique. Je m'égosille, on dirait un oisillon bec ouvert.
L'homme ne cille pas. Ma langue est morte. Elle tombe dans l'oreille d'un sourd. Je m'approche, je le secoue. Je lui parle avec mes mains contre sa peau. Il ne bouge pas. Nous faisons langue morte l'un et l'autre. Je m'évertue encore. Je chante, puis je chuchote. Je réitère. J'attends que l'homme comprenne. Je veux qu'il comprenne, je veux qu'il entende. Qu'il sache ma langue.
L'homme ne sait pas. Ne sait rien. Il cherche l'ombre et le silence. Il ne veut plus de mot semble-t-il. Je vais le gaver comme une oie, il faudra bien que d'une manière ou d'une autre il entende. Je cherche autour, je cherche un entonnoir. Je ne sais pas qui est le plus fou de nous deux. Je ne trouve pas d'entonnoir. Rien dans ce couloir minuscule. Je me transforme en oiseau. Je pépie, je serine, je roucoule, je bats des ailes. Je fais de mon mieux pour parler. Je me dis, je pourrais faire la roue, relever ma huppe, qu'il s'intéresse un peu. Je ne sais pas, je ne sais pas faire le paon, ou la paonne, je manque d'arguments, de couleur. Mes plumes sont petites et blanches encore. Je suis un ange peut-être. Le silence à l'intérieur des mots. La respiration dans la langue. Je suis entre les mots. Entre les mots peut-être qu'il m'entendra. Je me tais. Je n'essaie plus. J'écoute. J'écoute le silence, le silence blanc, jusqu'à l'ivresse.  Je me noie, je me noie peut-être. Des mots à mes tempes  voudraient dire encore. Mais il n'y a plus d'espace pour cela.
L'homme me regarde, il se lève. Il ouvre la porte en grand. Le printemps est immense et doux. Les feuilles à peine ourlées, vert tendre et les fleurs éclatantes des pêchers nous accueillent. Il pose sa main contre ma joue. Soudain je l'entends. J'entends sa langue. Le monde parle.
Je n'ai plus besoin de m’époumoner.