jeudi 6 juin 2019

"Il faut bien mourir de quelque chose" . C'est l'incipit. On le triturera. On le gardera sur le bord de la langue. On se demandera ce qu'il en est. De quoi meurt-on si ce n'est de vivre.
On pensera à ceux qu'on a déjà laissés sous des tombes. Ceux qui étaient trop jeunes, la sidération et la béance immédiates, le silence blanc et la douleur palpables qui passaient dans l'air autour des vivants. Ceux qui avaient lutté longtemps, la danse des soignants, les machines qui prolongeaient leurs corps traçant déjà la frontière. Ceux que la mort semblait avoir saisis, délicate, dans l'action ou  le sommeil de leurs vieux jours -, et nous pouvions penser, sans rien en savoir, ils n'ont pas souffert.
On pensera aux pierres grises des églises sous nos pas, aux hommes comment ils hissent les cercueils sur leurs épaules, aux paroles serinées des prêtres, au manque de place pour dire la vie, la vie entière, juste là au moment où il faudrait la dire,  avec les trous noirs dedans, on pensera aux costumes de mauvaise coupe des agents de pompes funèbres, à leur empressement maladroit, aux cahiers de condoléances où si peu se dira.
On pensera aux cortèges lents, derrière les voitures noires. Comment on regardera les pieds des uns et des autres qui avancent, comment se forme et se déforme le groupe, comment les mains se rejoignent, comment les corps s'étreignent parfois, comment certain reculent, comment les enfants sont graves, impatients.
On pensera au gravier des allées de cimetières, aux tombes recouvertes de lichen, aux plaques de faïence, leurs regrets éternels. On pourra s'y promener plus tard.
On pensera au trou fait dans la terre, aux cordes  contre lesquelles glisse le cercueil, on appartiendra à la procession qui défile, on saura au dernier moment devant la tombe avec nos fleurs et et nos poignées de terre que quelque chose se sépare.