samedi 27 novembre 2021

 

Je vais te dire où vont les mots pour que tu saches. Pour que tu cesses. Pour que les empreintes n’empreintent plus. Je vais te dire où ils vont quand ils restent. Je vais te le dire. Pour que tu sois inconsolable. Pour que mes clientes cessent de tout laisser ici. Leur fracas, leurs débris de vie, leurs cheveux, leurs pertes de mémoire – j’ai oublié mon rendez-vous – leurs enfants qui s’en vont, les appartements trop chers qu’elles ont visités, leurs chiens malades. Comment elles sont charrette. Je vais te dire où vont les mots quand ils restent. Parce qu’ils restent, qu’ils s’incrustent. Parce que ce salon en est plein. Parce que je ne veux plus les entendre. Jamais. Parce que je veux juste regarder passer cette femme en talonnettes et veste de costume comme on regarderait un train .Parce que ton père ne parle pas, parce qu’il ne dit jamais rien. Parce que ton frère n’a pas de nom, parce qu’il pourrait ne pas en avoir ou si peu. Parce que toi tu as trop de questions ouvertes, grandes ouvertes. Alors que le monde est petit. Je vais te dire où vont les mots, aux chiottes, à la mer. On ne les revoit plus, on ne les réentend plus et on pleure. On pleure parce qu’il n’y a plus de mots. On pleure à sec même. On pleure de nos yeux secs. On enterre tout ce qu’il y a à enterrer. On est joyeux dans les cimetières. On est nombreux.  On trouve des mots sur les pierres tombales, des noms, tout un alphabet. Ça ne te suffit pas ça ? Ça te suffira mon chéri, tu pourras construire tous les temples que tu veux avec. Comme on fait avec des brindilles, avec des riens.